jeudi 1 septembre 2016

Episode 19 - La Tempête de sable


Une lumière rouge qui clignote dans le ciel nocturne. Le futur est en évolution, mais c’est difficile à dire. 
Bienvenue à Valnuit.

Chers auditeurs, le conseil municipal vient d’annoncer qu’une tempête de sable allait arriver sur Valnuit dans seulement quelques minutes. Ils vous présentent leurs excuses pour ne pas l’avoir annoncée avant mais ils ont un peu laissé leur matinée leur filer entre les doigts. « Vous savez ce que c’est », ont-ils déclaré à l’unisson. « Vous vous dites, “Oh, on devrait annoncer cette dangereuse tempête de sable. C’est de toute urgence.” Mais après il faut que vous preniez un café, et vous croisez vos collègues, et puis vous lisez vos mails, et peut-être un coup d’oeil à Facebook… Et vous ne voyez pas passer le temps. Vous voyez… » ont-ils conclu.
La tempête de sable devrait être la plus violente depuis des décennies et, selon les météorologistes, les grands vents et les débris provenant du désert pourraient causer des millions d’euros en dégâts. Ils ont aussi déclaré que si vous n’êtes pas déjà à l’intérieur avec les fenêtres fermées, les portes verrouillées et les yeux fermés de toutes vos forces, votre futur sera probablement très différent. Les météorologistes ont ensuite rappelé que les ratons-laveurs sont en réalité des animaux plutôt dangereux, même s’ils ont l’air adorables, et ne nourrissez jamais, jamais, de bébés ratons-laveurs, parce que la maman raton-laveur vous attaquera sans aucune hésitation. « Vous avez déjà été vaccinés contre la rage ? Oh, ça craint tellement », ont continué les météorologistes pendant que les journalistes commençaient à s’agiter et à espérer que les météorologistes allaient bientôt la fermer. « Bon dieu, les météorologistes ne savent jamais s’arrêter ! », a gémi l’ensemble des journalistes.
Restez donc à couvert, Valnuit. Cachez-vous dans vos maisons et vos bureaux, et faites comme si de simples murs pouvaient vous protéger de la force de la nature ainsi que de la brièveté et de l’inconséquence de la vie. Laissez vos radios allumées : nous vous tiendrons au courant.

Eh, fans de sport ! En partant du principe qu’on sera toujours là après demain, c’est le début de la saison de rugby ! Ce samedi, les Araignées-Loups de Valnuit ouvrent le championnat de deuxième division. Ils se frotteront à leurs implacables rivaux, les Rayons de Soleil de St Falaise. Dans l’équipe des Araignées-Loups, un très jeune mais prometteur pilier cette année. Les fans ont particulièrement hâte de voir Tristan Martin, héros local de 20 ans, avoir sa première chance de quitter le banc des remplaçants. Tristan a décroché son bac il y a deux ans et a rejoint les Araignées-Loups dès sa sortie du lycée de Valnuit ; juste après qu’ils ont découvert qu’il pouvait utiliser ses pouvoirs télépathiques pour estropier les avants adverses émotionnellement, souvent en les envoyant s’effondrer pendant des semaines, se mettant à pleurer d’un seul coup, parfois lorsqu’ils sont encore sur le terrain.
Les Rayons de Soleil ont eux aussi apporté quelques changements à leur équipe. Pendant l’entre-saison, ils se sont dotés d’un nouveau propriétaire et d’une nouvelle gestionnaire, parce qu’ils sont nazes. De gros nazes. Qui s’en soucie, au fond ?

Et maintenant, le trafic.
Les responsables autoroutiers demandent à tous les habitants de Valnuit de se tenir éloignés des routes. La tempête de sable rend tout déplacement quasi-impossible. D’après nos informations, plusieurs voitures ont ralenti près de la bretelle sud de la sortie 6, sur la route 800. Les policiers en charge du trafic rapportent avoir vu, à travers les nuées de sable, chaque voiture freiner et s’arrêter, et des douzaines de conducteurs et de passagers s’engager en courant sur la route, se mettre par deux, et commencer à se battre. Ils ont remarqué que les combattants de chaque paire semblaient être bâtis pareil, qu’ils avaient le même sexe, le même âge, et portaient exactement les mêmes vêtements. De plus, et ça n’a aucun rapport avec la tempête, tous les panneaux stops et les feux de circulations ont été retirés pour leur cirage bi-mensuel. Ils seront de retour du service nettoyage mardi, ont indiqué les responsables.

Chers auditeurs, merci pour vos mails et vos appels. Il semble que la tempête ait déjà commencé à frapper. Henri Leroy, à la lisière de la ville, vient de nous appeler pour nous informer que le sable était épais et volait vraiment vite, mais que quand il touchait sa peau, il pouvait à peine le sentir. Il pouvait à peine sentir quoi que ce soit, le passé est une fiction, et les conséquences sont un choix. Il a vu des couleurs et des formes au lieu de choses familières comme des poêles et des poneys. Il a crié en direction du soleil couvert de sable pour prouver brillamment qu’il était encore vivant avant de s’exclamer, surpris : « Non ! Pas toi ! Pas toi ! » et puis il a raccroché. Eh bien, merci Henri pour ces riches informations. On s’en souviendra, c’est sûr.
La vieille Josette n’a pas appelé, mais selon Diane, notre stagiaire, la vieille Josette a mis à jour sa page Facebook avec un Instagram de pierres runiques. Diane a fiévreusement traduit ces symboles et sa meilleure hypothèse est qu’ils disent « Ils viennent par deux. Vous venez par deux. Vous et vous. Tuez votre double ! ». ll y a aussi un lien vers ce fabuleux chat qui n’arrête pas de sauter dans des boîtes et oh mon Dieu, c’est la chose la plus choupinou que j’ai jamais vue ! Diane, il faut que tu postes ça sur mon mur ! Oh mon Dieu, il aime tellement ces boîtes !

Et maintenant, les nouvelles financières.
Un champ de blé en jachère, un ciel gris, entrecoupé du V sombre d’oiseaux noirs. Il y a un enfant, traînant une hachette. Ses yeux baissés. Ses yeux plissés. Ses yeux blancs et rouges et superflus. Il ne sait pas ce qu’il voit, mais il sait ce qui est là. Une unique bête aux ailes noires, son bec fêlé, ses plumes pourrissantes, se pose brutalement sur l’épaule de l’enfant. Ils s’arrêtent. L’oiseau picore le cartilage de l’oreille de l’enfant, comme s’il y mordait des secrets. Le garçon grogne sans que cela soit déplaisant. Des nuages, lents et lourds, roulent et se soulèvent, contrastant crûment contre le daguérréotype vacillant des collines, qui gardent stoïquement au large les pluies empoisonnées. Une soudaine petite rivière, partiellement contenue par des épis de blés paralysés, passe non loin. Le garçon y pénètre. Il se penche en avant. Ses yeux vides contemplent son reflet. Ni lui ni son miroir ne sait que l’autre est là, mais l’oiseau… 
L’oiseau sait. 
L’oiseau glousse, ou crie, peut-être. Même l’oiseau n’est pas sûr. 
Le garçon recueille l’eau sombre dans ses paumes. Une grande partie coule le long de ses longs doigts en zig-zag. Il lèche le reste sur sa peau poussiéreuse. Un son — comme le tonnerre, comme des tambours, comme des pas. Le garçon se retourne et lance sa hachette derrière lui. L’oiseau s’envole dans le lointain. Il y a un bruit sourd et hideux. Le garçon ne sait pas ce qu’il a touché, mais il l’a blessé. Il attend la riposte. 
C’étaient les nouvelles financières.

Ça vient de tomber : la maire, Paméla Vasseur, a déclaré l’état d’urgence. Elle a demandé, si vous êtes toujours dehors, à ce que vous retourniez chez vous immédiatement ! Une deuxième dépêche, peu de temps après la première, a indiqué qu’elle mentait et que « vous ne devriez pas l’écouter. Elle n’est pas la véritable maire ! C’est moi la maire ! ». Une troisième annonce a suivi, demandant que vous « me donniez le micro et dégagez du podium ! C’est ma conférence de presse, espèce de clown réplicant ! ». La conférence de presse s’est ensuite emplie de cris tels que « Hypocrite ! » et « Imposteur ! » alors que les journalistes se sont soudain dédoublés et se sont mis à se battre contre eux-mêmes.
Prudence, Valnuit. Je crains que cette tempête de sable ne soit un événement des plus terribles. Je vous en conjure, restez en sécurité à l’intérieur, et si vous deviez vous voir vous-même, je ne peux approuver le meurtre de vous-même. C’est juste que je crois que jamais la violence n’est une réponse. C’est une question. La vraie réponse est bien plus terrifiante. Donc faites la paix avec votre double, Valnuit. Ne soyez pas tentés de dégainer vos épées ou vos pistolets. Nous pouvons vivre ensemble.

Houlà. Qu’est-ce… Qu’est-ce que c’était que ce bruit ? Diane ? Tout va bien là-dedans, Diane ? Contre qui tu te bats ? Diane, pose ce coupe-papier ! Diane, pose ce—je vais aller voir. Euh, écoutons un message de notre sponsor.
Vous avez un projet de rénovation ? Besoin d’aide ? Vous vous sentez incomplet ? Vous ressentez des émotions ? D’étranges émotions ? Des émotions que vous n’avez jamais ressenties ? 
Incomplet ?
Votre corps est-il empli de sang chaud, de courbes sinueuses de tendons, et de peau ? Vous sentez tout ce sang ? Est-ce même votre sang ? Comment pouvez-vous en être sûr ? 
Incomplet ?
Êtes-vous pris de vertige à cause de tout ça ? Que font vos mains ?
Incomplet ?
Où sont vos mains à présent ? Où étaient-elles ? Où vont-elles ? Où allez-vous ? Avez-vous déjà brisé la surface de quelque chose avec un marteau ? Avez-vous déjà transféré de sublimes pensées dans du papier de verre ? Avez-vous déjà voulu toucher quelque chose parce que vous ressentez des choses, parce que le toucher est le seul sens digne de confiance ?
Incomplet ?
Qu’est-ce que la confiance ? Si vous construisez quelque chose, est-ce une preuve que vous existez ? Si vous réparez quelque chose, est-ce une preuve que vous avez surpassé votre mortalité ? L’Histoire ?
Incomplet ?
Vous ressentez des choses ? Des choses ?
Vous pouvez y arriver. Nous pouvons vous aider.
Castorama.

Chers auditeurs, j’ai des mauvaises et des, euh, bonnes nouvelles. Diane est morte ! Mais l’autre Diane est vivante, et je ne sais pas laquelle est l’originale et laquelle est le double. À présent l’une des Diane se penche sur son propre corps, haletante. Je ne sais pas si elle grimace ou si elle sourit. Quand je suis entré, elle serrait dans sa main une agrafeuse cassée… et dans l’autre main, une version papier de ce mail de… Oh, bon sang. Voilà la mauvaise nouvelle dont je parlais. Un mail de Stéphane Carlsberg ! Je ne veux surtout pas lire un mail de ce crétin, mais si l’imprimer fut l’une des dernières actions de Diane, je dois honorer son effort.
Stéphane—argh ! Stéphane écrit : « La tempête sert clairement à dissimuler quelque chose. Je pense que c’est un projet créé par le gouvernement. Ça fait longtemps que notre gouvernement participe à des expériences d’ensemencement de nuages, et essaye de supprimer les gens avec des produits pharmaceutiques. Je pense que ce gouvernement ne reculera devant rien pour… » Bon, écoute bien, Stéphane Carlsberg ! Tu ne nous apprends rien, Stéphane. Evidemment que la tempête a été créée par le gouvernement ! Le conseil municipal l’a annoncé ce matin ! Le gouvernement n’a jamais caché qu’il pouvait contrôler la météo, et les tremblements de terre, et traquer nos pensées et activités. C’est le genre de trucs qu’un gouvernement est censé faire ! Clairement, tu n’as pas lu la Constitution ! Ouais, OK, le gouvernement peut être sacrément inefficace, et parfois boursouflé, et corrompu, mais ça ne sert à rien de se plaindre de tout ce qu’ils font. Sans gouvernement, on n’aurait pas d’écoles, ni de routes, ni d’équipement municipal, ni d’utiles pandémies, ni de fourgonnettes noires qui errent dans nos quartiers, la nuit, pour nous garder en sécurité. Alors s’il te plait, Stéphane Carlsberg, j’en ai marre de tes critiques envers le gouvernement !

Sur ce, chers auditeurs, c’est l’heure de la — oh, hum. C’est quoi, ça ?
Chers auditeurs, un vortex noir, presque indigo, vient de se former sur le mur de mon studio. Chers auditeurs, les mots me manquent : c’est si beau ! Je ne peux pas vous quitter, puisque l’émission n’est pas encore finie, mais… Il doit y avoir quelque chose au-delà de ce quelque chose, Valnuit. Je dois voir ce que c’est ! Je dois y aller ! J’essaierai de ne pas être long, chers auditeurs. J’essaierai de ne pas être long…

Allô ? Allô, St Falaise ? C’est quoi ce studio ? Eho, St Falaise ! Je ne sais pas si vous m’entendez. Ici Kévin. Je ne sais pas où je suis. C’est un studio de radio, mais les murs sont plus sombres. L’équipement a l’air bien plus vieux. En tout cas bien plus sec que ça devrait. Ce micro a été fait… quand ? Est-ce que j’ai remonté le temps ? Vanessa ! Tu es dans la cabine ? Chers auditeurs, si vous m’entendez, je suis dans un endroit bizarre. Je ne sais pas si je suis à St Falaise, où si quelqu’un m’entend. La tempête fait rage dehors. Le vortex est toujours là, mais il est noir, presque bleu foncé. Il y a un vrombissement grave. Je ne sais pas si ça vient du portail, ou de la tempête, ou de mon propre corps. Il y a une photo sur le bureau, là. C’est un homme. Il porte une cravate. Il n’est ni grand ni petit, ni maigre ni gros. Il a des yeux, comme moi, et un nez, comme moi, et des cheveux comme moi, mais je ne crois pas que ce soit moi. Ça doit être le sourire. C’est un sourire ? Difficile à dire. En tout cas j’espère qu’il est en sécurité, qui que ce soit. Où qu’il soit. J’espère être en sécurité, où que je sois, qui que je sois. Il fait nuit. Je crois qu’il fait nuit. Il fait nuit. Vous ne me connaissez peut-être pas, et moi je ne vous connais pas, mais nous avons ce micro, et cette voix, et vos chaudes oreilles s’ouvrant en corolle pour entendre des secrets réconfortants de la part des vibrations d’une voix qui pulse si profondément dans votre corps que votre cœur se détend un moment. Et nous avons cela, alors que je suis assis devant cet étrange bureau, sans même une trace de sang. Alors, chers auditeurs, qui que vous soyez, voici maintenant la météo.

[Fever (cover) par Corbaz]



Allô ? Valnuit ? Je vous avais dit que je reviendrais. Ça a pris plus longtemps que je ne le pensais mais je suis de retour de cet horrible endroit où j’étais parti. Sur le chemin, dans le vortex, j’ai vu un homme grotesque. Un homme ressemblant à un ignoble démon. Et il m’a attaqué ! J’ai essayé de l’étrangler, mais je me suis souvenu. Je me suis souvenu de ce que je vous avais dit, et je l’ai laissé en vie. J’ai laissé cette bête affligeante vivre.

Je suis sûr qu’il a son content de blessures et de bleus, et je le plains : il est obligé de retourner dans l’endroit affreux - affreux - d’où il provient et que j’ai eu le malheur de visiter. Mais, quelque part, je suis content qu’il soit vivant. Que je sois vivant. Que vous soyez vivants. Que nous soyons vivants.
Dehors, les vents se calment, le soleil balaie notre douleur. Je suis sûr que les rues sont tâchées de sang : le graffiti de nos péchés, les écrits d’une bataille immorale, mais sans doute nécessaire. Les corps de certains remplacés par d’autres qui étaient - nous étions - tous les mêmes, au départ.
Et nous guérissons. 
Ceux d’entre nous, qui que nous soyons, qui ont survécu. Les autres nous, qui que nous soyons, qui ont vaincu. Qui que vous soyez, vous êtes chez vous. Nous sommes chez nous, Valnuit ! Vous et moi sommes à nouveau réunis ! Ma bouche, vos oreilles, nous sommes là l’un pour l’autre ! 
Et maintenant, et pour toujours, bonne nuit, Valnuit. 
Bonne nuit.

Bienvenue à Valnuit est une traduction bénévole de Welcome to Night Vale, une production Night Vale Presents. Le texte original est écrit par Joseph Fink et Jeffrey Cranor. Cet épisode a été traduit par l’équipe des Valnuitains et produite par Kobal. La voix française de Cecil, Emile, est Kalysto. La voix française de Kevin est Kobal. 
Le générique est de Disparition. Il peut être téléchargé sur disparition.info 
La météo de cet épisode était un cover par Corbaz de la chanson Fever. Vous trouverez plus d’information en allant sur http://paulinecorbaz.wix.com/corbaz
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Le proverbe du jour : Première étape : écrivez les noms de tous les gens que vous connaissez. Deuxième étape : changez les lettres de place. Troisième étape : un grand secret vous sera révélé.

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