mardi 1 novembre 2016

Episode 21 - Souvenirs d'Europe


Accrochez la carte d’un lieu où vous n’irez jamais sur le mur de votre salon. Dessinez de nouvelles rues. Arrachez les étendues d’eau. Patientez jusqu’à l’arrivée des équipes de journalistes.

Bienvenue à Valnuit.

Théo Martin - le propriétaire du complexe de bowling et salle d’arcade “fleur de garrigue” - rapporte qu’il met en place une surveillance milicienne, jour et nuit, de l’entrée menant à la cité souterraine se trouvant sous la zone de récupération des quilles de la piste 5. 
Cette surveillance sera constituée d’une ligne de patriotes volontaires, armés jusqu’aux dents, établissant un périmètre continu autour de la zone de bowling toute entière.
Théo admet que cela rendra la pratique du bowling plus difficile que d’habitude, et que les parties en ligue devront être reprogrammées...ou rendues illégales. 
Mais il ajoute que c’est un petit prix à payer pour être en sécurité. 
L’autre prix de la sécurité est 2€25. C’est la somme qu’il aimerait voir déboursée par chaque bon citoyen de Valnuit afin de le payer pour ce service essentiel de défense contre les agresseurs inconnus - mais vraisemblablement terrifiants et dangereux - de la ville souterraine.

Des témoins ont rapporté avoir aperçu le Pisteur Apache à l’arrière du complexe de bowling, en pleine discussion passionnée avec l’homme à la veste beige. 
La Police Secrète Municipale déclare que la conversation était trop discrète pour qu’ils puissent l’entendre et souhaite rappeler à tous les citoyens de bien vouloir tenir leurs conversations de manière bruyante et déclamatoire, en étant tournés vers l’extérieur et en faisant de grands gestes dramatiques afin d’augmenter à la fois la facilité et l’excitation occasionnées par leur travail de surveillance. 
L’homme à la veste beige a été décrit comme étant “impossible à reconnaître” mais c’était probablement un genre d’homme, avec des traits de visage et des membres. Le Pisteur Apache a été décrit comme un crétin, à l’instant, par moi.

Chers auditeurs, l’arrivée des premières brises du printemps m’a ramené à mes années de fac et à ce dernier printemps que j’ai passé à voyager, sac au dos, à travers l’Europe. Vraiment, c’est un événement marquant dans la vie de n’importe quel jeune capable de se l’offrir et je suis reconnaissant d’en avoir eu l’opportunité. Je me rappelle avoir passé une période merveilleuse en Chuiss. La Chuiss - bien sûr ! - cette terre de petites collines ondoyantes et de notes discordantes portées par la brise - est parfaite pour un visiteur doté d’une solide constitution et étant peu sujet aux hallucinations.
Mon compagnon de voyage et moi-même sommes restés dans une auberge de jeunesse adorable, dans une cahute en contre-plaqué abritant deux lits, sur la pente abrupte d’une colline. La pente impliquait que mon partenaire ne cessait de me rouler dessus, après quoi nous roullions tous les deux hors de la cahute avant de dégringoler de plus en plus bas pour finir notre course dans un ravin plein d’épines, et de fleurs odorantes et violemment bleues. 
De là, nous devions nous traîner jusqu’en haut de la colline, s’installer à nouveau, tout ça pour que ça recommence encore. Comme on a ri, comme on a ri !
La situation n’était rendue que plus étrange par le fait que je ne me rappelle nullement avoir eu un compagnon de voyage avant ou après la Chuiss. 
Qui était-il ? Qui sait ? 
Sur le moment, ça semblait parfaitement normal. Je ne sais pas non plus combien de temps je suis resté en Chuiss, à rouler en bas de la colline avant de la remonter. 
Entre les notes sur la brise, le parfum enivrant de ces fleurs et le fait qu’il fasse toujours nuit, c’était difficile de se rendre compte. Mais ça ne saurait être plus d’une décennie, plus ou moins. A la fin, je me suis assommé durant l’une de nos chutes et, quand je me suis réveillé, j’étais dans un pays différent. J’avais vieilli de plusieurs années et personne à qui je m’adressais ne savait où se trouvait la Chuiss, ni n’avait même entendu parler d’elle.
Quoi qu’il en soit, c’était un endroit adorable et, j’ajouterais, un pays à ne pas rater pour n’importe quel voyageur en Europe qui parviendrait à la trouver.

Thérèse Hadoux, du cabinet du maire, a organisé une conférence de presse ce jour, durant laquelle elle se tenait devant un gros camion, peint de couleurs néon brillantes et festonné de lumières clignotantes, et niait avec fermeté l’existence du camion. Elle a continué dans son déni pendant plusieurs minutes et ce même durant une longue séance de questions-réponses avec les journalistes réunis - même s’il faut avouer que nombre de ces questions consistaient en des doigts pointés vers le camion, le sourcil levé. Mme Hadoux avoua après coup que la conférence n’était qu’une manière de s’entraîner à nier. C’est un talent qu’elle dit vouloir garder aiguisé en l'exerçant constamment. Elle déclare aussi que ce talent n’existe pas. Elle a ensuite été entendue niant l’existence du ciel, d’une divinité aimante et des oeufs. “Les oeufs n’existent pas” a-t-elle déclaré. “Non-non ! Montrez moi donc un oeuf ! Ce n’est pas un oeuf ! Qu’est-ce qu’un oeuf ? Qui vous a laissé entrer ?”

Simone Rigadeau - la vagabonde qui vit dans un placard à recyclage du bâtiment des Sciences de la Terre du Collège Communal de Valnuit - a émis une communiqué aujourd’hui, dans laquelle elle déclare que la fin du monde a déjà eu lieu. 
“Le monde a pris fin il y a trois ou quatre décennies”, a-t-elle gribouillé sur un emballage de sandwich Subway. “Je ne sais pas ce qu’est cette chose dans laquelle on vit mais ce n’est pas le monde. Les scientifiques ne feront pas de recherches là-dessus parce qu’ils ne sont pas réels. Dinde avec supplément de gruyère.” Je pense que cette dernière phrase était déjà écrite sur l’emballage par un des artistes sandwichiers de Subway, où l’un de leurs familiers.
Wow… Une déclaration incendiaire de la part d’un des cerveaux les plus importants du bâtiments des Sciences de la Terre, depuis qu’il a été déclaré dangereux par la ville, condamné et laissé à l’abandon.
Le monde a-t-il pris fin ? Que pourrait même signifier la fin du monde ? 
Et comment Simone a-t-elle trouvé cet emballage de Subway, étant donné que les restaurants Subway ont de nombreuses entrées mais aucune sortie ? Comme le dit leur slogan : “Un millier d’entrées, aucune issue. Mangez frais. Mangez si affreusement, affreusement frais. Affreusement, génialement, horriblement, effroyablement frais.” Pour en savoir plus sur cette histoire de fin du monde, nous passons en direct au son d’une pompe d’aquarium.
[Son d’une pompe d’aquarium]

Retournons maintenant à mes vagues souvenirs de l’Europe, tout en teintes de sepia.
Un autre pays dont je me rappelle - avec une grande tendresse, bien sûr - est la Franchie. La Franchie, pays des Arches. Il est fascinant de voir comment vivent d’autres cultures, vous faisant sortir de vos habitudes figées de valnuitain. Et la Franchie en est un exemple primordial. Découvrir une culture qui n’a même pas d’habitant, un pays dénué de population - seulement de vieilles arches de pierre, des centaines de kilomètres carrés d’arches, entrelacées et s’appuyant les unes aux autres. Le vent résonne à travers les étroites venelles alors que le voyageur solitaire, appareil photo à la main, explore l’immense paysage urbain dépeuplé.
Nul besoin de savoir parler une autre langue pour s’essayer à communiquer à l’intérieur des frontières de la Franchie. Dites simplement « il y a quelqu’un ? » après de longs silences. Depuis les profondeurs des arches nouées tombant en ruine, vous entendrez ensuite l’écho de votre appel, sans réponse. Oh la beauté, chers auditeurs, de l’échange interculturel !
Bien sûr, en dépit des bons moments que j’ai passé recroquevillé sous une couverture durant les longues nuits de la Franchie, à regarder les étoiles dans un brouillard de vin bon marché, aucune visite ne peut durer éternellement. J’ai fini par être convaincu que je n’étais pas seul dans ce labyrinthe, que quelque part parmi les arches se trouvait une bête, qui me traquait. Je restais parfois des heures, immobile, écoutant ce vent, à la recherche du plus petit son dénonçant un mouvement quelque part dans les couloirs distants formés par les arches. 
J’ai fui la Franchie, courant désespérément vers la frontière, rencontrant impasse après impasse avant que, le coeur battant la chamade, je passe la frontière dans le pays d’à coté et tombe à genoux sur la colline verdoyante, les arches s’étant arrêtées complètement à la frontière.
Et je vous jure, chers auditeurs, je vous jure qu’au moment de traverser la frontière, j’ai senti une unique griffe m’écorcher le dos. Je vous le jure. J’ai senti le vent sans fin de la Franchie devenir chaud et humide - le souffle de la bête à quelques centimètres de mon cou.
Alors, visitez la Franchie mais, sachez-le : prenez garde au monstre qui peut - ou pas- n’avoir été qu’imaginaire.

Maintenant, le trafic.
La Direction Interdépartementale de la Route nous prévient que des équipes d’ouvriers serpentent sur certaines sections de la route départementale D800. Il est conseillé aux habitants de la périphérie de conduire lentement dans ces zones indiquées, parce que des ouvriers casqués tourbillonneront dans tous les sens, une masse écoeurante de membres et de bouches pendantes et haletantes. Les amendes dans ces zones indiquées seront doublées. Toutes les amendes en dehors des zones indiquées sont quadruplées, comme d’habitude. La DIR m’a aussi demandé de lire le communiqué d’avertissement qui suit - en utilisant leurs termes exacts. Donc :
CosmoCat - Copperhead - et le Grignotin
Activation.
Je répète.
Activation.
Exécution. Mission. Alpha - November - Zulu - Zéro - Un - Trois.
Paramètres de force léthale acceptables.
Je ne suis pas sûr de ce que cela signifie mais si vous avez compris de quoi il retourne, alors évitez une amende routière embêtante en respectant … cette instruction que je viens de relayer, quoi qu’elle puisse signifier. Et rappelez-vous de mettre une ceinture. C’est un chouette accessoire de mode, que vous pouvez facilement obtenir en les découpant dans votre voiture pour fabriquer tout un tas d’accessoires…

Et maintenant, un message de nos sponsors
Sept lumières à la fenêtre.
Sept lumières dans une salle.
Sept lumières, sept lumières au total. 
Six notes dans la mélodie
Six notes forment un hymne ténébreux
Six notes pour te débarrasser du besoin impérieux.
Cinq passages pour s’évader.
Cinq passages, tous coupés.
Cinq passages, chacun perdu ou brisé.
Quatre mots dans un murmure.
Quatre mots dans ton oreille.
Quatre mots t’emplissent d’une terreur sans pareille.
Trois petit coups d’une phalange
Trois petits coups sur un parapet
Trois petits coups quand tu essaies de différer.
Deux yeux grand ouverts et désespérés
Deux yeux plissés, terrifiés
Deux yeux ouverts, oui, mais rien n’y est.
Une lumière à la fenêtre.
Une lumière dans une salle.
Une lumière, une lumière au total. 
Taco Bell. Vivez … más !

Pour retourner une fois de plus à de plaisantes réminiscences, rappelons que l’Europe ne se limite pas à regarder des monuments, parler à des monuments et lécher des monuments. C’est aussi rencontrer les gens. J’ai pris part à un échange mémorable dans le petit pays alpin qu’est le Luftnarp.
C’avait été une longue journée de voyage en train avant de rechercher, puis de réserver une auberge de jeunesse froide et morne, et j’avais désespérément besoin d’un repas chaud et d’un peu de bonne compagnie. Je me rappelle m’être rendu à la taverne locale, où le propriétaire me dévisagea, interdit, la bouche béante et une peau grise, cendreuse. Tous les autres client firent de même. Leur bouche à tous étaient étirée presque à des dimensions de dessin animé, au-delà des limites connues de la science médicale.
J’ai commandé un plat de ce que, eux, trouvaient le plus délicieux, ajoutant un rapide “s’il vous plaît” en langue locale, afin d’indiquer que je tentais de me fondre dans la masse et n’étais pas l’habituel touriste français hideux. Ils ont gracieusement répondu par des jacassements gutturaux, à l’unisson, et en ne bougeant pas alors que je me dirigeais vers la cuisine pour y dévorer quelques-unes des pommes de terre les moins moisies et quelques saucisses mystérieuses (et légèrement aigres). Je les ai laissés, jacassant dans leur sabir local et pétrifiés dans une caricature de terreur humaine, me sentant comme si j’avais non seulement gagné un bon repas, mais aussi quelques nouveaux amis.

Gros événement dans le monde de la science ! Des scientifiques annoncent avoir découvert l’araignée la plus mortelle du monde, une espèce jusque là inconnue que l’on repère aussi difficilement qu’on survit à sa morsure. Apparemment, le spécimen a été découvert au cours de l’examen de votre cadavre. Ils déclarent que vous étiez une allégorie de l’agonie, votre peau d’une myriade de couleurs enfiévrées pulsant et… 
Oh ! Vous savez quoi ? Je suis désolé. Ce communiqué est daté de la semaine prochaine. Euh… Les choses sont devenues si confuses depuis que les agences de presse ont commencé à utiliser des machines à voyager dans le temps. N’y pensez plus. Inutile de s’inquiéter à propos de ce communiqué pour quelques jours.

Et maintenant, la météo :

[TITRE par ARTISTE]

Quand j’y repense, mesdames, que je regarde en arrière, messieurs, que je revois et repense à mon voyage en Europe, je ressens… un profond accablement s’abattre sur mes épaules. Bien sûr, c’est bien, pour partie, de la nostalgie : me revoir plus jeune, bourlinguant à travers l’Europe, vivant des aventures et bravant des obstacles qui, à l’époque, semblaient insurmontables, mais désormais, ne semblent plus être que les éléments d’une histoire sans danger. Cependant, il faut dire la vérité sur la nostalgie. Nous ne la ressentons pas à propos de la personne que nous étions mais plutôt pour la personne que nous n’étions pas. Nous la ressentons pour toutes les opportunités qui nous étaient alors offertes mais que nous n’avons pas prises. 
Le temps est comme une cire, tombant goutte à goutte de la flamme d’une bougie. Sur le moment, elle est liquide et en chute libre, avec la capacité de prendre n’importe quelle forme. Et puis le moment passe. Et la cire touche le plateau de la table et se solidifie pour prendre la forme qu’elle aura toujours. Cela devient le passé - un unique enregistrement, solide, de ce qui s’est produit, possédant toujours dans ses courbes et contours furieux le potentiel de toutes les formes qu’il aurait pu prendre.
Il est impossible - qu’importe à quel point vous pouvez être doté par la chance, ou le gouvernement, ou une quelconque déité lointaine et invisible pilotant avec ménagement votre vie de ses main faites de clarté lunaire et de vent - il est impossible de ne pas ressentir un peu d'abattement en regardant ce petit morceau de cire, ce morceau de passé. Il est impossible de ne pas penser à toutes les formes déchaînées que cette cire ne prendra maintenant plus jamais.

Le village, aperçu depuis la fenêtre d’un train - magnifique et impossible et impossiblement magnifique au sommet d’une montagne. Vous vous êtes alors demandé ce que cela ferait de descendre du train en marche et d’arpenter la piste jusqu’à ses rues calmes, pour vivre là jusqu’à la fin de vos jours. Le visage magnifique de ce jeune homme de Luftnarp, avec sa bouche béante et sa peau cendreuse, aperçu pour la dernière fois à moitié de dos alors que vous montiez dans le bus, se tournant déjà vers un futur dépourvu de vous, quand cette chose entre vous qui semblait tant possible sur le moment n’est déjà plus et, pour toujours, n’a jamais été.
Toutes sortes d’opportunités perdues entr'aperçues depuis les fenêtres de transports publics, en fait. Cela peut être écrasant, cette cire inerte répandue, témoignage solide de chaque virage non-pris.
“Dans quel but ?” demandez-vous.
“Pourquoi s’en soucier ?” affirmez-vous.
“Oh, Emile,” pleurez-vous. “Oh, Emile.”
Et alors vous vous rappelez - je me rappelle - que nous sommes, même maintenant, un autre morceau de cire fondue. Nous sommes pris dans un moment qui est encore volatile, encore en chute libre - et nous ne serons jamais ailleurs. Nous serons toujours dans cet instant le plus dangereux, le plus excitant, le plus possible de tous : le présent. Où jamais nous ne pouvons savoir quelle forme prendra l’instant suivant.

Restez à l’écoute pour… Eh bien, découvrons cela ensemble, plutôt. Non ?
Bonne nuit, Valnuit. Bonne nuit.
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Bienvenue à Valnuit est une traduction bénévole de Welcome to Night Vale, une production Night Vale Presents. Le texte original est écrit par Joseph Fink et Jeffrey Cranor. Cet épisode a été traduit par l’équipe des Valnuitains et produite par Kobal. La voix française de Cecil, Emile, est Kalysto. 
Le générique est de Disparition. Il peut être téléchargé sur disparition.info
La météo de cet épisode était TITRE par GROUPE. Vous trouverez plus d’information en allant sur SITE
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Le proverbe du jour : demandez à votre médecin si vous êtes gauche de la droite.

7 commentaires:

  1. Le player n'apparait pas sur votre page. Et mon téléphone ne trouve pas l'épisode. Est ce normal?

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  2. Ouf. Il est là, ça y est. Merci pour votre beau boulot. Et ne soyez pas désolés du retard. On va pas se plaindre pour quelque chose que vous offrez avec amour ♡

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  3. Merci de nous offrir ces épisodes, c'est un plaisir de les écouter ! Continuez comme ça !

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  4. Merci de nous offrir ces épisodes, c'est un plaisir de les écouter ! Continuez comme ça !

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